lundi 29 août 2011

Souvenirs d'un soir d'été .


Une fois extirpé mon mal être de la voiture rieuse et grisée où nous embarquions souvent à cinq, je m’évadais un peu sur quelques dizaines de mètres à distance sanitaire suffisante de la marquisette puante qui moussait dans la barrique là-bas au bout du comptoir .
La sono crachait les standards de l’époque et le larsen lancinant pourrissait bien davantage encore l’équilibre précaire de ces mélodies merdiques.
Il fallait toutefois que je sacrifie au protocole des tournées anisées puis que je me mêle aux castagnes de comptoir (initiatiques disait-on)  avant que je ne puisse enfin m’échapper de cet endroit peu glamour qui déversait tant de vinasse.

Ma quête trouvait sa charité ailleurs, et sur la piste polyvalente goudronnée du village surgissaient quelquefois, venues d’ailleurs, des anges.
Comment pouvais-je m’en soustraire ??
Soudainement ces beautés, solistes mues par la grâce, dessinaient sur le macadam les esquisses presque abouties de leurs âmes, je mourrais aussitôt très lentement sur la frontière de l’amour.
Ces jeunes femmes qui me tourmentaient étaient jolies ou belles, éloignées et intégralement snobs, les insoutenables moiteurs de l’été transportaient leurs effluves et faisaient alors irruption comme dans un rêve leurs frimousses diaphanes et leurs vaporeuses silhouettes.
Le tintamarre sorti depuis la buvette ne m’atteignait plus, les inepties proférées leurs fonds graveleux, le rictus des « belus » souillés par un peu de bave ….
Je n’en pouvais plus !!
Ça cognait encore du côté de l’endroit à vinasse et les saillies dérobées à l’abri des cornues faisaient l’effet de quelques rurales piquettes !!
La brutalité des belligérants n’avait d’égal que l’arbitrage violent des gardes-chiourmes du comité des fêtes dégénérés de toutes obédiences, leur organe vociférant parmi les décibels bousculés couvrait les crachats infâmes sortis de la sono.

Les platanes phalliques et pomponnés de la place bruissaient un peu, leurs musiques bercées par la brise tiède de l’été n’était audible qu’à leurs pieds, je m’y tenais et cet abri subjectif me protégeait de la menace bruyante de la meute.
Scène étrange que celle que je vivais d’autant plus étrange que le souvenir qu’il m’en reste est flou, les éléments du décor justement transcrits résultent d’une concession de mémoire, cette mémoire largement défaillante en ce soir d’été sublimé n’avait probablement retenu que la partie inconsciente de cette version estivale .
Deux heures durant, une jeune femme d’une vingtaine d’année belle à se faire pendre interpréta seule, une chorégraphie envoûtante.
Elle dégageait une grâce peu commune, j’étais pourtant à peine distrait par les formes délicatement épanouies de son corps, je ne voyais plus que son joli minois et les éclairs furtifs de ses yeux.
Elle ne cessait de revenir vers moi, consciente j’aime le supposer de l’effet anesthésiant que ses arabesques produisaient jusqu’au tréfonds de mes entrailles.
Je n’entendais plus le vacarme des bordures, l’odeur prégnante de la marquisette s’était un peu dissipée, seule une ribambelle de silhouettes que je percevais à peine s’agitait, silhouettes confuses et définitivement inopérantes.
Je ne me souviens ni de l’année ni du lieu ni des circonstances, mais je garde en mémoire la ronde séductive de cette beauté, maudis encore l’insoutenable paralysie  qui m’empêcha, elle qui m’offrait ses lèvres ….
La vinasse devait être maintenant clairet, la marquisette de fin de soirée était une escroquerie admise, la viande saoule disjonctée ne voyait plus au-delà du mètre, cependant l’odeur du fond de cornue frémissait encore quelques narines …

Il était bien tard.

Noël Vallier



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