mercredi 24 août 2011

L'Archipel radieux ( suite ) .

L'Archipel radieux ( 10 ) .

Le « Qu’uenns » se situait à une centaine de mètres de l’embarcadère, bar immense fréquenté par une clientèle hétérogène , le troquet ratissait large , le comptoir dès son ouverture commençait très vite à poisser des débordements incessants de la mousse de bière . D'énormes quantités de bières , autochtones et touristes vissés sur les sièges , coudes plantés sur les épaisses corniches de cuivre , certains déjà vautrés , tous s'impatientaient de vivre d'autres aventures .
La légion était souvent présente , les bagarres fréquentes, s’y mêlaient quelques appelés , mais ils prendraient vite la tangente ...
Le Qu’uenns était un dancing réputé , cependant beuveries et débauche se taillait une bonne place , sa notoriété courrait loin las-bas vers les archipels les plus lointains , l'endroit était pittoresque et bruyant , très bavard , il affichait une structure en tôle grasse peinte de couleurs vives , en bordure de son avenue il était immanquable !!
L'impressionnant troquet avait ses règles, il n’aimait pas les contemplatifs , il préférait de loin se rassurer de la musique assourdissante de sa caisse enregistreuse ,  dès lors pourraient s'exprimer librement, sages, ethnologues ou philosophes …
Jusqu'aux premières lueurs de l’aube !!

Le « Berry » était là en situation d’amarre, cet ancien cargo civil appartenait désormais à la marine nationale française.
Il arborait une très seyante couleur « blanc Pacifique » et reprenait du service en officiant comme transporteur ravitailleur au compte du Centre d’expérimentation.

Le port de Papeete s’agitait en tout sens, les petits bateaux de pêche s’ébranlaient cabotant d’ici de là, sur l’interminable quai on tirait du filin à qui mieux mieux , bref une journée nouvelle démarrait, il était bien tôt et le soleil polynésien cognait déjà fort.
Ils étaient une dizaine en attente d’embarquement, se trouvaient sur le quai deux ou trois appelés et quelques   hommes d’équipage.
La passerelle grinçait sans vergogne, André passa l'obstacle joyeusement sans état d’âme, consolé, déterminé même !!
Il se réjouissait déjà de son nouveau statut , ne deviendrait-il pas dans quelques jours , et c'était pour lui un évènement , un primo-insulaire !!

La discipline paraissait bonhomme, ils s'étaient alignés accoudés au bastingage.
Après quelques manœuvres coutumières le « Berry » mis le cap à l’est flanqué de boucan et d’écume.
Le spectacle était formidable , le bateau s’était éloigné seulement depuis quelques minutes et se détachaient peu à peu les premiers contours de l’île.
Tahiti chapée de son bleu azur déroulait un écrin luxuriant , en partance , anesthésiés par l'odeur remontante de l'iode qui aurait raison des derniers effluves du coprah , les godelureaux rêvaient de leurs premières mousmés !!
Puis , rien d'autre , rien d'autre que le seul Pacifique , calme en ces premiers instants , il claquait ses premières vagues , roulis et tangages en petit sommeil, , presque silencieusement.

André put ainsi goûter pleinement les plaisirs de cette contemplation tranquille, après quelques longues minutes de rêveries ordre lui fut donné de se diriger ver la cale.
Il suivait son chaperon et allait découvrir quel serait son commun , merveilleux endroit de nuit !!
Seul calé au milieu de plusieurs tonnes de marchandises, un lit pliant vert dit « picot » ripant à la cadence du roulis le crasseux gras de sa bâche, se rinçait par l’eau croupie du fond de cale et renvoyait sans cesse sur le plancher moisi  les saloperies résiduelles de ses vieilles trames.
Ce n’était pas une punition, jamais il ne se résolu à en admettre l‘hypothèse, la promiscuité du navire imposait sûrement cette restriction , les places de couchette étaient réservées aux marins rattachés , il composerait donc avec l’humeur saline et daubée de l'endroit.
Il finit tout de même par s’avouer que son capitaine recruteur était pour le moins un homme .... peu recommandable !!

Il rangea son paquetage dans une espèce de caisson en tôle bringuebalant insuffisamment assuré, prit prudemment quelques marques et remonta sur le pont en direction de la cuisine, il passerait ainsi de l’intendance promise à la tambouille !!
Il assurerait de la sorte pendant ses trois jours de navigation la subsistance des personnels et devrait se familiariser dare-dare avec les inconforts embarqués de l’estancot de service.
Fricoter dans cinq m 2 quelle gageure !!

Il découvrit la complexité de la tache , il possédait certes un peu de technique mais ça bougeait dans tous les sens , le bâtiment n’était pas immense , sa coque complaisamment offerte aux coups de boutoir des premières lames lui permettrait-elle l’équilibre nécessaire ??
Il s’accommoderait de ces conditions précaires , faisant fi des giclées de gras brûlant , de ses douloureuses caresses et enfin de proposer une pitance sans gloire certes mais qui semblait satisfaire l’appétit et les gourmandises de l’équipage !!

Jusqu'au soir il se vivifia de l’air marin , observa longuement le ballet de quelques cachalots très au large et se ravit de cette flopée de dauphins qui cernait la frégate , toujours bruyants et gais !
Il oublia ses petites plaies et goûta longuement du spectacle offert sans la moindre lassitude…
Il fut heureux de visiter la machinerie, l’enfer est pavé de bonnes intentions, il y croisa quelques bedaines reconnaissantes, prit son compte de boucan sur ses tympans puis se sentit soudainement « tout chose » …
Il fit promptement demi-tour et parvint à régurgiter proprement par-dessus le bastingage et dans les délais impartis la petite charge du déjeuner ….
Sa résistance aux roulis ordinaires n’aurait donc duré que quelques heures !!
Quelques âmes charitables évoquèrent une vraie performance !!
La belle affaire !!


Noël Vallier




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