dimanche 7 août 2011

L'archipel radieux ( 3 )





L'Archipel radieux ( suite ) .

Toulon était encore douceur au cœur de ce mois de décembre 1968 , les capotes militaires les protégeraient bientôt d’une froidure annoncée , ils traîneraient donc le barda réglementaire , deux kilos de tissu pelucheux couple taillée ample , chaud .
Les  grassouillets , rondouillards , minces , les en forme de tonneau , les en forme d’asperge seraient plus ou moins engloutis sous cette triple vareuse !!
C’était le parti pris de l’uniformité , attifés de la sorte ils ne pourraient jamais séduire, mais au moins pourraient-ils inciter au respect et sait-on jamais être craints !! …

Les anciens avaient accueilli les « impétrants » de la classe suivante et les jeux de bizutage recouvraient leurs droits.
Même détresse et pareil effroi .
Les bleus tels des donzelles iraient chercher leur salut aux robinets des lavabos, le majeur dressé, stupéfiés par tant de culot, tant de transgressions tant d'apparentes cochonneries !!
Pour de faux certes mais ces jeux idiots conséquences fâcheuses , héritage débile venus de l’omnipotence régnante du caporalisme universel étaient tout de même rondement menés . Devant en première ligne une dizaine d'abrutis obstinés , encroûtés dans les us du bataillon, tous rompus aux exercices coutumiers de ces rites « initiatiques ».
Ils le savaient  l’annonce de leurs affectations définitives ne tarderait guère, les appelés de la 68 2C étaient survenus , impatients au seuil des derniers jours de ce mois de décembre languissant et terne . La période des classes s’achevait , ils avaient eu leur compte de vexations , de gardes, d’appels intempestifs nuitamment gueulés et ils avaient le sentiment que l’heure était venue de changer d’air.
Regretteraient-ils Toulon ? Rien n’était moins sûr. L’humeur maussade de son automne avait distrait leurs attentions et les servitudes imposées par le casernement avaient sonné tant de charges qu'ils se retrouvaient un peu nus , vulnérables ...
Ils leur faudrait encore espérer sur beaucoup d'énergie et c'est ainsi que portés par leur orgueil , dopés par d’impatientes espérances, ils boucleraient leur période de classe ….. c'était ainsi !!
Point de permission pour les fêtes de Noël, et au grand dam des attentes familiales , l’occasion ne leur serait donc point donnée de révéler à leurs proches l'importance du chemin parcouru , ce chemin un peu mutant où le gamin peu à peu devenait un homme !!

Ce n’était pas entièrement faux le brassage incessant de tous ces caractères ne modifiait en rien leur personnalité mais il mettait à l'heure de l'usine militaire toutes les pendules psychologiques .
Ils étaient désormais alignés sur l'heure juste des braves !!
Les fanfarons fanfaronnaient moins , les plus timides s’ouvraient aux nécessités du vivre ensemble , les plus experts exerçaient un coaching bienveillant , inspiré et fraternel , c’est ainsi que le groupe avait admis que puissent naître en ces lieux une solidarité complice .
Ce jour là le planton de service hissait les couleurs en plein cagnard, tous étaient aux ordres, le ciel de Toulon était immensément bleu, le clairon shunter allègrement les consignes du cahier musical et courait dans les rangs comme une humeur folâtre.
Cependant la brochette militaire qui officiait devant leurs guêtres s’était enrichie de quelques galons supérieurs et c’est un commandant qui s’avança .
Flanqué d'une belle escorte et portant une liasse de documents .
Les hommes étaient prévenus, dès l’appel de leur nom il leur faudrait selon les usages sortir du rang.
Les délibérations s’étaient-elles déroulées conformément à l'esprit de la coutume militaire ?? Jamais ils n'en doutèrent , quels furent les critères retenus? Ils n’en surent rien.
Un premier groupe composé d’une dizaine d’appelés, dès la première injonction fut informé de son nouvel ordre de mission …
Djibouti !! La république de Djibouti … la mer serait rouge assurément mais ce pays côtier de l’Afrique de l’est n’était pas sans connaître de nombreuses échauffourées le dépaysement tant attendu ne dérogerait pas à la règle certes il venait tout de même de prendre un peu de plomb ... il avait un petit goût amer !!
L’entièreté des troupes présentes  ne partirait pas, des hommes resteraient à Toulon, ils vivraient leur temps d’armée au rythme des saisons de la métropole.
Puis il y eu les élus de la Réunion , ceux de la Nouvelle-Calédonie , ceux de la Guyane française tous pris dans les vertiges d’un bonheur immense , mais un bonheur contenu !!
Restait à désigner une dizaine d’hommes, virtuellement en partance, et seule la Polynésie française n’était pas encore pourvue, Tahiti île exquise , île fantasmée , plombée de soleil , nichée au coeur d'un archipel féerique radieux !!

En seraient-il ?? ah !! cette oppression , pour quelques instants ,quelques instants seulement…..
Dés l’appel de leur nom il durent à leur tour tout contenir , de leur joie immense , de leur hébétude puis de leur frénésie .
L’azur au-dessus de Toulon s’était vêtu de son bleu de gala et les cœurs de nos amis à l’unisson étaient comme saisis ….
Au comble d'un vertige indescriptible .

Noël Vallier .

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