dimanche 7 août 2011

L'Archipel radieux ( 2 )

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Tout avait commencé à Toulon.
Une période d’initiation rude, dispensée par le régiment du 4 me Rima la discipline militaire était une affaire entendue, elle avait le bon goût de se montrer intraitable, rarement il se trouva des appelés s’obstinant à réfuter son enseignement et la grande majorité d’entre eux acceptait de bonne grâce que soient enfin rétablies les règles d’obéissance et de soumission auxquels ils s’étaient tant de fois dérobés, jeunes godelureaux contestant parfois timidement l’autorité familiale.
Cependant il convenait que les plus rétifs d’entre eux admettent le principe d’un élémentaire recadrage, que soit enseignée une méthodologie intransigeante  puis administrés toutes affaires cessantes les premiers bouillons amers mais utiles de la marmite républicaine.
Trois mois de classe, de plaisirs rudes, assortis de quelques séquences mémorables où ils se retrouvaient en missions, baroudeurs es qualité aux alentours du Mont Faron le plus souvent, sous la pluie, trempés, puis essorés par la bise glacée, rations de survies en sus harnachés d’un « lest » dont l’encombrement et le poids pesaient lourdement sur leur échine.
L’appel du matin après la toilette froide, une tenue dans les rangs impeccable, et le casernement devenait sacerdoce, grave à l’instant précis de la montée des couleurs.
C’était le rituel.
Les enjeux sportifs dopaient leur orgueil, le cross matinal du petit matin mené à train soutenu dans les rues désertes de Toulon donnait lieu à de sérieuses empoignades et ce qui n’aurait du être qu’un exercice bouclé sans zèle particulier finissait par prendre une tournure de compétition. Au  fil des kilomètres la cadence se durcissait, les plus expérimentés et les plus combatifs prenaient la poudre d’escampette et fréquemment une dizaine de lascars, toujours les mêmes pénétrait l’enceinte de la caserne avec une avance significative, vidés, extenués ils précédaient une flopée de groupes disparates, tous égrenant l’interminable parcours.
André dirait peu sur les bizutages que les « anciens » réservaient aux « bleus » ces traditions grasses ne l’amusaient guère et l’agaçaient même fortement, pour en avoir été à son tour l’une des victimes il pouvait témoigner combien pendant quelques minutes son dépit fut grand, ce n’était certes pas la fin du monde, ni celle des honneurs mais l’affaire avantageusement gratinée pouvait surprendre !!
Ils en sortaient malgré tout indemnes, un peu plus endurcis sans doute et conséquemment instruits d’une curieuse philosophie, mais n’était-ce pas le but recherché par les cadres, combien d hommes de troupe furent ainsi activement désinhibés.

L’humeur Toulonnaise n’en finissait pas de nous dévoiler son caractère.  Se mêlaient surprises, intrigues, truculences et bonnes humeurs.
Les palmiers de l’esplanade suggéraient des fuites tropicales, quelques brasseries chics présentaient une devanture de bon aloi, des fumeurs de pipe imprégnaient les salons cossus de l’odeur caramélisée de leurs tabacs, de charmantes et solitaires jeunes femmes renchérissaient mêlant aux brumes prégnantes exhalées par les hommes celles plus délicates de leurs cigarettes Craven, Dunhill ou Chesterfield.

Une fois sortis des quartiers préservés de la ville, les jeunes militaires cheminaient alors immanquablement vers l’endroit « tabou », le sulfureux quartier, l’étrange « Chicago ».
Le secteur ne sentait pourtant pas le souffre d’autres effluves pointaient doctement,  odeurs d’épices probablement, elles étaient contenues dans quelques ruelles sombres et flottait alors dans ce confinement comme une multitude de soleils.
Une enfilade impressionnante de bars, néons en façade, s’accaparait rue et ruelles, une gente féminine familière s’étourdissait sur ses arpents, hélant sans cesse les militaires et s’engouffraient alors dans le dédale des officines les ombres en fuite tirées par des couples improbables.

Noël Vallier

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