vendredi 4 janvier 2013

L'archipel radieux ( sauvegarde 3) .

Ces sorties ne l’amusèrent qu'un temps , le pittoresque du quartier n’était pourtant pas sans opérer quelques charmes mais la tristesse des filles , ce vilain commerce tellement exhibé aux prémices de la nuit tombée , les lettres en néon arc-en-ciel qui n’en pouvaient plus , tout oeuvrait pour qu'une solide raison finisse par taire les premiers démons .
Les partisans du Toulon solaire prirent le large entraînant la troupe , puis ils remontèrent vers le cœur ouvert de la ville.
Les appelés du contingent étaient assermentés en quelque sorte, la grande muette leur confiait une mission insigne, ils devaient la servir, et la majorité d’entre eux en acceptait le bon augure, la guerre paraissait improbable, la douceur retrouvée des trente glorieuses semblait convenir à l’encadrement et réjouissait le menu fretin.

André était donc parti de la maison suivant en cela les prescriptions de sa convocation militaire.
Rendez-vous lui était donné, jour et heure consignés, l’inquiétude et le désappointement n’avaient cessé de tourmenter son entourage, lui était saisi d’une primesautière impatience et faisait peu de cas de tant de compassion.
C’était le soir de l’automne, Toulon était gaie, les brasseries soufflaient des myriades de volutes, se disputaient au palmarès du grand chic les partisans des clics secs et lourds des briquets Dupont et ceux des allumettes Seita aux craquements glissés , désinvoltures plus discrètes .

Plus tard ils arpentaient le port, il était gris, triste, nauséeux, son embarcadère sinistre ouvrait le champ sur des monstres de ferrailles désarmés et ces cadavres de navires leurs révélaient de vieilles histoires en déclinant l’épaisseur d’une rouille lépreuse et des raccommodages de peintures érodées rongées par les brumes salines et les clapotis incessants provoqués par leurs roulis .

André était très sensible à la musique, très marqué par le jazz , il aimerait celle produite par la mer comment alors ne pas se réjouir et ne pas éprouver ce sentiment de hâte devant tant d'immensité .
Plus tard il entendit suintant depuis un troquet le « tord-boyaux » de Pierre Perret et cette farce lourde et grasse pourtant le fit sourire

Le 4 me Rima dont il était l’une des recrues destinait ses troupes à l’Outre-mer et il lui revint en mémoire le desiderata qu’il avait formulé à l’issue de l’épreuve écrite des trois jours, test qui précédait d’une année l’incorporation militaire.
L'épreuve se déroulait à Lyon .
Épreuve de logique, de connaissances générales, test de QI peut-être ? L’autodidacte qu'il était, saisi par la trouille fut gratifié d'une note honorable .
La concurrence était rude, enseignants en formation, intellectuels de tous poils, il y eu des dix-sept, des dix-huit plus rarement et sa « performance » lui permit d’intégrer les prolongations .
Il revoyait encore les recalés, les moins de 10 qui quittaient au fur et à mesure la salle , des contrôleurs sans concession rendaient leurs verdicts, elles furent nombreuses les victimes de l’inconnaissance, certaines rasaient les murs, d’autres opinaient du chef semblant confondus .

Il avait demandé parmi les nombreuses destinations proposées celle de la Polynésie Française, ses collègues perplexes ricanaient, il prit son barda pénétra un peu plus le cœur de la ville, puis il entra dans un bar moderne et clinquant .
Il commanda un crème, mit une pièce dans le juke-box et sélectionna par hasard « 96 Tears »
Ce fut une révélation !!

Noël Vallier .