mercredi 14 septembre 2011

L'Archipel radieux ( suite ) .




L'archipel radieux ( suite ) .

André n'avait connu que le seul climat métropolitain .
Cette belle histoire des saisons , trimestres contrastés et le jeu facétieux de la terre et du soleil  qui préservait du pire , tempérant ici les extrêmes redoutées des grands froids ,  protégeant là d'une canicule trop prolongée et de ses accablements .
La douceur monocorde de la Polynésie n’était pas son contraire, elle était une alternative heureuse, saison sèche et saison humide disait-on …
Pour distinguer les petites humeurs changeantes de cette météo binaire il fallait se souvenir de quelques convulsions climatiques , de ces soudaines précipitations susceptibles de déverser des trombes sur ces terres célébrées et munificentes.
Aussitôt les alizés fraîchissaient, la température pouvait redescendre …
23 degrés … le grand froid !! L’humeur générale pendant ces quelques jours serait maussade.

Les saisons de la métropole étaient si différentes !!
Petit quand il craquait la neige chaussé de ses godillots cloutés André doubles chaussettes aux pieds , maillot de corps tricot et gilet , duffel-coat épais couvrant au-dessous des genoux , moufles et bonnet pour les menottes et les oreilles , il pataugeait dans l’hiver petons au sec les yeux grand ouverts sur un pays feutré énigmatique aux odeurs humides de bois brûlé.
Aux premiers signes venus du printemps il se déshabillait prudemment, le froid pouvait encore cogner ses derniers coups de massue.
Combien de retours de gelées soudains explosèrent bourgeons et sèves, combien d'hommes se lamentaient  paysans effondrés puis résignés , effleurant de leurs doigts gourds les protubérances éclatées par la perle de glace , cognant de leurs brodequins sur la croûte raide de la terre en s’abîmant les semelles sur ses fissures meurtries.
L’été venu les mois de juillet et d’août étaient chauds , très chauds , il se souvenait de l’ombre bienfaitrice des fruitiers , celle déployé par les grands feuillus, des promenades avec mémé , protégé par la grande ombrelle du cagnard brûlant.
Tricot de peau léger, short et socquettes, sandalettes solidement bouclées, ils partaient tous les deux pour de longues promenades là-haut vers les petites montagnes à l’endroit des bises fraîches et des ruisseaux clapotants .

Puis l’automne pointerait son nez , il jaunirait  les feuilles des caduques et mort s'en suivrait elles voletteraient fouettées par la bise pour une dernière pirouette.
André traînerait un peu dans la gadoue grappillerait quelques graines de vieux raisins oubliés , planqués sous les ceps roussis , baies confites à cœur miraculeusement préservées malgré vents et premiers froids tout au long de ces coteaux abrupts .



Au camp d’Arué le cinéma proposait deux séances de suite , il fallait satisfaire la demande de l‘ensemble des personnels militaires.
La programmation était diverse , cependant la tendance était aux westerns , péplums , polards . Moins de films d'auteurs à se prendre la tête pour entreprendre de vastes réflexions !!
L'armée ne s'auto détruirait pas ,  les arguments du septième art étaient passés au crible , le propos du cinéma à Arué jamais ne déborderait du conformisme institutionnel !!

Ils formaient une joyeuse bande d’avisés cinéphiles .
Bruno et Bernard tenaient un registre sur lequel étaient répertoriés tous les films visionnés, chacun d’entre eux était apprécié puis noté , de une à six étoiles , la palette était large ce qui rendait l’exercice encore plus exigeant.
Bien qu'ouvertes à tous les critiques des deux experts comptaient de plus forts coefficients , mais les copains auraient toujours dans la tête l’Ouest américain ses épopées et ces obsédantes complaintes des cow-boy !!

André se souvenait encore .
Il s'était assis bien des fois dans les profondeurs des fauteuils moelleux des "cinémas" Valentinois , il avait quinze ans à peine , il se souvient de la petite loupiote des ouvreuses , toujours charmantes en bel uniforme bleu , petit galurin assorti .
On n'en comptait pas moins de cinq cinémas .
Trois d'entre eux aux noms évocateurs occupaient les premiers niveaux de magnifiques immeubles de style Haussmannien  « Paris, Provence, Palace » !!

Il dépensait toutes ses sous dans ces salles de rêve, connaissait l’histoire cinématographique de l’époque sur le bout des doigts , encyclopédiste acharné du genre il ne cessait de mettre de l’ordre dans son petit savoir et lui donnait ainsi toujours plus de consistance.
Au Provence  la tenture lourde d’épais velours mauve dissimulait une scène large et profonde.
L’ambiance musicale était soignée , pas une seule faute de goût , souvent « américaines » incompréhensibles hélas pour les unilingues de l’époque , les mélodies étaient sensuelles et gaies, crooners en vogues et Lady fiévreuses à la voix obsédante.
Puis le rail enfin rabattait sur ses angles les imposants panneaux , un léger crissement suivait la manœuvre et enfin peu à peu la pénombre gagnait la salle.
Documentaire , entracte , et toujours souriantes sous leur petit galurin bleu les ouvreuses joueraient à la pie qui chante !!
Le facétieux petit mineur de Jean toucherait une fois encore pleine cible , André dans son fauteuil était ivre de bonheur !!

Noël Vallier .

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire