lundi 5 septembre 2011

L'Archipel radieux ( suite ) .


Cela fait aujourd'hui quarante et un ans presque jour pour jour !!
Rappel imprécis , le surlendemain de son arrivée peut-être André se retrouvait affecté aux cuisines, aux commandes du redoutable piano , cette affaire était-elle convenue , les quenelles de l'avant-veille avaient-elles à ce point convaincu ?
Il cumulerait donc les pilotages de l'intendance et de la cuisine !
L'intendance , les stocks et la gestion en d'autres termes , conditionneraient les moyens , lesquels conditionneraient les idées et les inspirations .
Avec un zeste de talent la traversée de midi deviendrait peut-être croisière gastronomique !!

Il décida d’apprêter du boudin noir.
Pour un ardéchois pur jus ce parti-pris allait de soi !!
Mais le servirait-il avec des patates ? que nenni !
Convaincu que des patates ils s'en amidonnaient les parois du ventre depuis l'antique , il prit sur lieu d'aimer ses amis troufions au point d'oser les surprendre !
En 1969 le sucré-salé n'était pas forcement en grande vogue , le canard à l'orange peut-être , et encore ce n'est point sur les tables familiales qu'il trouvait ses dimanches , il suintait le plus souvent son fin gras sucré sur la porcelaine précieuse des assiettes bourgeoises ...
Il décida fort de ces quelques considérations d’adjoindre au boudin des pommes fruits .
Les boudins étaient joliment venus , le boyau intact , dorés à souhait , du petit gras précautionneusement exprimé il s'en servirait pour mouiller les tranches de pomme , puis il napperait le dressage avec le fond de cuisson à peine épaissi par un soupçon de fécule de pomme de terre .
Cette préparation bousculait leurs standards  mais ces gourmands du bout du monde apprécieraient, il n'en démordait pas !
Il triompherait sûrement sous les vivats de la petite équipe militaire en délire !!
Il avait goûté bien sûr , c'était délicieux ...

Oubliés les conventions, les sottes habitudes, au diable le faitout brûlant posé au beau milieu de la table et son contenu rebattu , souvent réduit à un destin de tambouille !!
Il constata la décomposition fulgurante du commis , pour tout dire il semblait faire la gueule !!
André ne m’en souciait guère, il se chargea du service , les assiettes étaient chaudes comme la braise tout juste comme on les aiment .
Le repas se déroula sans la moindre histoire .
Suivirent quelques commentaires … tout en retenue !!
On lui rapporta précautionneusement combien ses amis avaient trouvé la cuisine savoureuse , cependant il comprit à demi mots que le contentement de leur appétit passerait mieux sans cette sorte de raffinement d'expérimentations !!

Ah ces pommes de terre !!

Les journées ne variaient pas , elles étaient toujours enchanteresses , il avait visité le village , le polynésien était de rigueur mais on s'amusait aussi de la langue de Molière .
Il y retournerait fréquemment brodant sans cesse des points de mémoires et découvrant un peu plus jour après jour les charmes inouïs de son quotidien .

Un jour il était allongé sur son lit , la fenêtre de son faré entrouverte quand un adorable minois pointa le bout de son nez dans l'entrebâillement , la vahiné fureteuse s'était déjà maintes fois approché , la tentation était devenue grande pourtant il se ravisa encore , la belle avait un compagnon « régulier » un gradé de surcroît, il se contenta de lui adresser un sourire entendu , les évènements suivraient leurs cours !!
Il était loin de se douter à ce moment précis que ses nuits à Tureïa étaient désormais comptées , il ne savait pas que son séjour s’achèverait dans la douleur …
Peu après il était assis un peu en retrait de la plage , en plein soleil , il se délectait de son odeur , un monoï coûteux acheté à Papeete , une huile étonnement fine et odorante qu'il utilisait en massage pour naturaliser son prometteur bronzage .
Les vagues ourlées par l'écume venaient se coltiner les petits rochers du rivage , sans violence , la barrière de corail plus au large rompaient la charge , leurs déferlements en partie vaincus se contenteraient aujourd'hui de creuser le sable du rivage .
Il retourna au faré, bavarda en chemin avec ses potes, le crépuscule pointa un bout de lune , il s'accouda sur le rebord de la petite fenêtre , ne vit jamais la jolie tahitienne .
Il s'endormit péniblement et cauchemarda une bonne partie de la nuit …

Toutefois il se réveilla en pleine forme , il goûta une fois encore de la volupté du petit matin Polynésien …
Le silence d’abord le silence puis gronderait au loin le bruit du fracassement de l’océan contre le corail.
Il entendrait sans jamais se lasser les cris plaintifs des frégates, les gazouillis incessants des oiseaux sédentaires qui nichaient dans les cocotiers , et les alizés légers lui feraient du bien comme il sied aux Andalouses le souffle doux de l'éventail .
Une dizaine de jolies tahitiennes surgirent après la butte , goûterait-il aujourd'hui le miel de leur peau de velours ou devrait-il taire une fois de plus les appels compulsifs se sa libido ?

Il venait de terminer son service, c’était un mercredi, il ressentit soudain une peur panique accompagnée d'une angoisse indescriptible , son cœur se mit à toquer violemment .
Il trouva refuge auprès du médecin militaire à l'infirmerie .
André hébété ne put donner la moindre explication .
Le soignant constata la démesure de sa tension , il lui injecta du phénobarbital.
Cet épisode douloureux entraîna une éprouvante régression , il se retrouva sous calmants .
Prostré dans son faré , à Tureïa depuis une dizaine de jours seulement il n'était plus opérationnel , cette violente crise de Tétanie avait muté sur un sévère épisode dépressif .
L'officier en chef prit la décision d’un rapatriement sanitaire …
Sur Papeete ....




Noël Vallier








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