samedi 3 septembre 2011

L'Archipel radieux ( suite ) .


André était heureux , autant de simplicité autour de cette table  !!
Les rapports étaient informels , amicaux souvent , la hiérarchie militaire fourbissait très peu d'arguments  seules les convenances ordinaires participaient à l'entretien de cette harmonie et de ce respect mutuel que savent même dans les pires circonstances préserver les hommes .
L'échange convivial fut de haute volée !
Le dîner une fête , puis une fois les présentations achevées les conversations allèrent bon train , âmes et cœurs rassemblés , mêmes tourments et mêmes espérances.
La troupe vivait cet exil doré sans douleurs apparentes , jouir tous les jours durant de la plus belle palette que pouvait offrir le bon Dieu remuait les tripes des cléricaux , des anticléricaux , des jouisseurs et des blasés des introvertis et des extravertis , des braves et des moins braves , seuls quelques imbéciles auraient pu tenter de corrompre la force tranquille d'une telle quiétude !!
Or de cette compagnie le groupe était préservé , les chargés du recrutement avaient certainement épluché un  nombre de dossiers conséquent , s’enquérant du meilleur afin de tenter de constituer une équipe homogène et solidaire.
Vivre douze mois dans cette communauté d'hommes en de telles circonstances interdisait le moindre relâchement , la moindre névrose , la moindre mélancolie , c'est ainsi que jeunes appelés , carriéristes , sous-officiers , officiers , tous ces hommes expérimentés ou pas feraient front commun et se paieraient ensemble des privilèges généreux venus depuis cette providentielle insularité .

André était à ses heures imitateur , il ne manquait ni de brio ni d'énergie , il déclama d'hilarantes sottises sans le moindre complexe révélant au passage un peu plus de son caractère , de sa personnalité , cependant ce parti pris dissimulait un tel état de brèche ...
Il reçut une réplique inattendue , le petit blond rigolo qu'il venait tout juste de repérer avait aussitôt prit la balle au bond .
Cette concurrence ne le troubla point, bien au contraire elle devint très vite complicité puis au fil des numéros qui s'enchaînèrent elle donna encore davantage du piment au spectacle !!
Sous le regard amusé de ses nouveaux collègues André venait de démontrer de volontaires capacités d’acclimatation et désormais son intégration rapide ne laisserait plus aucun doute.

Il était tard , il avait reçu consignes et instructions, informé de son job il pouvait dés cet instant disposer de temps libre , peut-être regagnerait-il son faré , peut-être s'attarderait-il sur la plage .
Il se dirigea vers la plage .

Sur sa lisière les cocotiers n'en finissaient plus de prier , troncs tendus comme des arbalètes , le vacarme du large s’étouffait aux récifs , les grandes frégates s’étaient tues, la pleine lune faisait son cinémascope quasiment à la verticale de la base , pendant un long moment il s'époumona à ne rien dire , il voulait tant se défaire du désordre sentimental qui venait de l'assaillir  , comment pourrait-il rendre à tant de beautés conjuguées avec si peu d'oboles l'hommage qu'il leur devait !!
Il entendit au loin quelques gazouillis , perçut les plaintes du large , puis les fatigues accumulées depuis toutes ces dernières nuits eurent raison de sa quête .

Il regagna son faré et s'endormit aussitôt .


André ne doutait plus , sur cet atoll perdu au cœur des Tuamotu il vivait avec d'autres chanceux une aventure extraordinaire.
Il n'avait pas oublié les formidables apprêts de Tahiti , sa luxuriance , son exubérance , ses petits bosquets parfumés , les pétarades sympathiques des scooters qui collaient à la route large qui borde le littoral , les vahinés et leur peau de soie , le charme de Papeete et bien d'autres trésors encore .
Devrait-il à jamais oublier ??

C’était sa première visite au lagon.
Il le découvrait à trois cent mètres de la base , pureté lagunaire inouïe , prodigieuse nature , la vie serait belle  se disait-il !
Sitôt franchi la petite butte, il découvrit une sorte de mer intérieure, calme , à la couleur turquoise, seules quelques vaguelettes ondulaient !!
Cette part infime d’océan captif avait fait de cet écrin un domaine , les règles étaient simples , il resterait immuable et troublant , toujours le même et cependant changeant !!
André se sentit chancelant sur ses bases !!
Oubliés pour un temps tuba et palmes , c'était une fois de plus le temps revenu de la contemplation.
Incomparable félicité ….

La barque à moteur vrombissait sur l’eau turquoise, l’écume remontait en surface fouettée par l’hélice du gouvernail, pour sa première leçon de ski nautique il prit une sévère série de gamelles, jamais désappointé  il se souvint de son apprentissage , cette satanée bicyclette !
Une fois domptées les claques des vagues deviendraient caresses , il oublierait les coups de boutoir du sillage ne retiendrait que les belles sensations laissées par l'écume .
Enfin il tint bon les manettes, hésitant, maladroit , pitoyable sûrement, mais il resta debout … oui mais peu de temps !!

La faune du lagon était incomparable disait-on , elle lui réserverait bien des surprises , il remettrait au lendemain les premières plongées , il n'avait plus le temps .

Les cocotiers en bordure du lagon s’arc-boutaient encore toujours en quête de la même prière, leur tronc cintré courtisait l'eau bleutée du lagon .
Les alizés en cette fin d’après-midi avaient amassé d’épais nuages , l’averse serait violente , brève aussi comme à l'ordinaire
Elle surviendrait sans tarder, tiède, enveloppante.

Il regagna l’intendance, le petit blond sympathique qui l’accompagnait affirma que son imitation du grand Charles allait supplanter toutes les siennes , Albert Simon et Geneviève Tabouis notamment !!
Le prétentieux !
Ils se réjouirent tous deux des rires qu'ils allaient provoquer , plus loin , las-bas à l'ombre de l'immense cocotier ....

L’averse violente les prit de court, le groupe s’éparpilla, chacun en direction de son faré ….
La pluie avait trempé l'atoll , les cocotiers comme nos roseaux ne rompaient jamais mais ils avaient plié fouettés par le vent violent .
Le ciel était très vite redevenu limpide, le soleil en cette fin d'après-midi cognerait fort, l’atoll s’assécherait bien vite ...

Il leur restait une demi-heure pour faire les zèbres, le petit blond sympathique parodia le grand Charles et André fit claquer comme convenu son bulletin météo et son éditorial !!
La petite troupe était hilare …



Noël Vallier




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