lundi 6 février 2012

L'archipel radieux ( suite ) .

L'archipel radieux ( suite ) 

L’arrivée à l'aéroport du Bourget ne connut aucune fête, il pleuvait , une pluie glaciale, une pluie de janvier déversant des trombes d’eau lourdes et mordantes pressées par un ciel bas, presque affalé .
Tous se dispersèrent comme saisis par une amnésie nécessaire, comme si des coeurs et des âmes nouvelles surgissaient, chacun à sa tâche, à son urgence.
Téléphoner en 1970 n'était pas chose simple il fallait soit s'engouffrer dans un troquet et solliciter les bonnes grâces du tôlier, soit trouver une cabine soit pousser la porte d'un café plus cossu, y consommer et obtenir ainsi du loufiat de service un jeton ou une accréditation .

Janvier serait maussade et froid, la grenouille d’Albert Simon était formelle elle lui souffla à l’oreille de vilains présages, l’homme imperturbable à la voix de crécelle nous en dit au détail près tous leurs maux ...

La navette militaire embarqua les hommes de la conscription, il fallait satisfaire à quelques formalités administratives, restituer les petites propriétés prêtées par le ministère et signer le document de pré-démobilisation.
La correspondance ferroviaire était prévu pour le soir même, ils disposaient donc de quelques heures dédouanées et pourraient ainsi flâner dans quelques quartiers de la capitale.
Tous prirent leurs dispositions, André se retrouva seul, il traîna place du Tertre connut enfin Montmartre et se souvint d'une dédicace dont il fut gamin l'un des destinataires. Il y était question des beautés et des charmes du lieu, le livre offert par un couple de parisiens amis de la famille était abondamment illustré des plus belles photos de Paris.
On y parlait de Montmartre bien sûr mais aussi de tous les lieux méritants de la ville lumière, de leurs splendeurs , les champs souvent vides de personnages sublimaient les pierres, les ornements, les calades, les vieux meneaux, ces très inspirés clichés savaient leur rendre une âme absolue.

Les femmes et les hommes de la rue semblaient pressés, toujours pressés et sous cette pluie battante les cirés et les parapluies valsaient, le vent giclait les averse glacées contre leur toile, certaines décrochaient arrachées par la bise parisienne, des peintres tranquilles à l’abri sous quelques porches croquaient les mêmes scènes jouant comme de vrais artistes avec leur palette de gouaches. 

Puis ce fut Pigalle, quartier de Paris festif qu'il trouva un peu glauque, le temps et les mouvements lui parurent suspendus chacun semblait jouer sa partition, André au coeur de cette apparente confusion cru souvent avoir été épié suivi peut-être, pressenti allez-savoir !! 
Délire de jeune provincial sans doute, le danger se trouvait ailleurs, dans quelque arrière-boutique, bars dédiés, ou dans les dédales de quelques ruelles sombres !!,

C’était la fête votive Place Pigalle, dans son Ardèche natale on appelait ça la vogue, cependant tout était semblable, les manèges, les badauds, les cris, les mystères, la joie et la tristesse.

La pluie acculée par le vent fouettait les aciers et les bâches, André se souvint furtivement de l’azur indéfectible de la Polynésie !! 
Cette brève pensée fut vite dissipée, il retrouvait les agréables sensations de l'ivresse olfactive, celle provoquée par le macadam trempé...
Il s'en remplit les poumons jusqu'à l'écoeurement .
Il arpenta longuement le quartier fluorescent de ce vieux Paris, ses néons alternatifs, déjoua les offres empressées des marchandes de sexe, ignora les bateleurs de cabaret qui promettaient des histoires à faire imploser les libidos les plus expérimentées avant d’aviser l'affiche d'un cinéma.

Il lui fallait tuer quelques heures, il attrapa la séance à son terme, puis il revit la programmation depuis son début, court-métrage, publicité celle gentiment orchestrée par le poulbot piocheur de Jean Mineur, dévora quelques caramels pendant l’entracte et se cala pour un temps en espérant des folles aventures proposées par le film de l'affiche .

Quelques heures plus tard il prit sa correspondance gare de Lyon, récupéra une place assise, se régala de la présence de quelques jolies françaises, il fut ainsi heureux et s'en contenta .. 
Quelques heures plus tard le train siffla en gare de Valence, il descendit du wagon complètement étourdi aima la crasse noire des ses quais, puis il prit le tunnel piéton

Il ressentit à l’endroit de l’horloge en poussant la porte monumentale une joie indescriptible , tout était revenu sans aucun désordre , les odeurs familières , le marchand de barbe à papa , les élégantes , le trafic urbain et les encombrements de la ville , et ces femmes et ces hommes à l'expression gourmande , le vertige commercial n'était pas démenti au contraire, vendeuses empressées et courtoises en embuscade, gérantes  directrices, directeurs, tous au front ces experts que la clientèle voulait à tout prix consulter !!

Ils s’étaient donné rendez-vous au Continental avec sa mère et sa sœur, l'ambiance était classieuse comme toujours il aima redécouvrir les odeurs mêlées du café et de la maroquinerie.

Il les vit très vite, les retrouvailles furent joyeuses mais toutes en retenues, c'était l'esprit de la maison .
Sa mère sentait bon "L'air du temps" du parfumeur Nina Ricci, sa beauté était à son zénith.
Sa jolie petite frangine paraissait épatée de revoir son grand frère, elle tenta de lui soustraire ses premières confidences.
Il alluma une Winston, posa nonchalamment le paquet sur le bord du guéridon en marbre, et il put ainsi juger de ce que rien n’avait vraiment changé.
Il était toujours dans le monde du paraître, dans la ville insouciante et heureuse qu’il aimait tant !! 
Il prit du temps pour siroter son Coca puis tous trois décidèrent de faire un tour de ville.
Près du  kiosque Peynet à l’aune des premières heures du soir ils prendraient leur correspondance.
En chemin il se rappela le tendre souvenir de ses grands-mères.
Il ne tardera pas à les revoir .



Noël Vallier





















 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire