mercredi 25 janvier 2012

L'archipel radieux ( suite ) .

L'Archipel radieux ( suite ) 

André prit quelques précautions de provision, il glissa au fond de son paquetage une cartouche de cigarettes Troupes et pensait-il goûterait jusqu'à la dernière tige le sirop âcre de leur tabac.
Après avoir tant inhalé de cette peste brune, il envisageait les dernières volutes avec empressement et afficherait bientôt au coin de son bec une fois rendu à la vie civile l’élégance d’une blonde, les cancers provoqués par ces exquises innocentes étaient probablement plus délicats sinon moins improbables. 
Il ne faudrait pas négliger la gestuelle, charmant compromis qui devrait impérativement réfuter l'inhalation expéditive pour adopter un tempo mesuré , plus lent !!
La cigarette pourquoi, pour qui ?
Avant d'envisager les conséquences du manque ils étaient tellement nombreux les artistes des manières à célébrer ostensiblement l'acte élégant et sensuel de la mise en bouche ...
Alors pour qui , pour les autres bien sûr, à leur destination, une belle conversation de volutes aimablement codées à l'adresse des filles et réciproquement, toutes et tous connurent les paquets tendance, les incontournables tiges avant d'adopter pour la vie leur favorite leurs poumons déjà encrassés par la compagne identitaire!!

Il était venu le temps de se remémorer un flash-back, André avait foulé le sol de la Polynésie le dix janvier 1969, et dès cet instant il n’avait jamais cessé de vivre au rythme de ses sensuelles cadences d’inoubliables moments de vie.

Comment pourrait-il oublier les rondes périlleuses des chaloupes et leurs tentatives de franchissement quand elles caressaient forcées par la houle les arêtes des récifs et cette nuit d'encre observée depuis le Berry, éclairée par un point de lune énorme presque dilaté et quelques autres à dormir cahin-caha réfugié au creux de l’énorme barque de sauvetage fuyant les rats de la cale , infestation bruyante qui couvraient quasiment les bruits lancinants du roulis ...
Le Berry souvent coquille de noix en plein Pacifique, secoué,ballotté par ses creux quelquefois impressionnants, puis le calme revenu l'apparition soudaine d'un troupeau de cachalots giclant leur gerbe énorme, les albatros et les frégates hurlant leurs libertés et peut-être leurs fringales, les petits poissons volants au moment précis de leurs curieuses ascensions ...
Le requin venu s'arracher la face sur les crocs concurrents de la frégate cognant encore de longues minutes  sa masse visqueuse sur le pont avant que de crever sans souffrance achevé par une série brève de violents coups de gourdin .
Puis simplement du ressac émotionnel de cette aventure, le lagon, beauté transparente et fertile, au loin les rires remontant depuis le village, les odeurs enivrantes, multiples, les petits matins grandioses jamais vus, et leurs réveils gracieux qu'aucun vacarme jamais ne vint troubler.

C’était la magie de l’archipel radieux !!

Il dut composer avec son retour piteux depuis Tureia, désordres psychologiques aux basques puis il s'en remit.
L'Anjou remuait en tous sens, le pont désert prenait des tonnes de vagues, des morceaux d'océan ruisselaient sur son plancher, bâbord et tribord en détresse.
Touchant au port de Papeete il goûterait une fois encore de cette odeur anesthésiante celle du coprah, celle aussi de la vanille capiteuse, il lui vint encore en mémoire l'écho de quelques cascades vertigineuses, la fraîcheur des petits jungles fruitières, les ananas regorgeant de jus et de chair sucrée, les bananes à croquer sur place, le lait de coco petit godet rafraîchissant préservé au creux de sa coque .
Il n'oublierait pas non plus la route littorale qui courait autour de l'île, des soirées à rire au camp d'Arué, le cinéma si généreux et l'amitié cette formidable soudure sentimentale qui les aidèrent tant au moment de quelques douloureuses nostalgies.
Il y en eu .

Le souvenir de quelques flirts , de quelques brûlantes étreintes, les soirées passées à crâner au Bounty ou ailleurs , celles plus expéditives trempées dans la moiteur du Q'uennns, le port de Papeete flanqué d'interminables quais et l'océan si proche avec sa meute de vagues qui venait cogner leurs violences contre les récifs, ces sentinelles impassibles qui ne cessaient de veiller sur la lagune somnolente.

Le rituel impressionnant des offices religieux, l’immuable commémoration du dimanche, l’éparpillement gracieux des chapeaux blancs à la sortie des temples ou des églises à l'heure aboutie du sacré.
Les soirées privées, les ballades en truck, les tamourés enfièvrés, les repas Tamaaras, le poisson cru et sa marinade délicate de citron vert …
L'extraordinaire marché déjà abondamment décrit .
Bref la culture polynésienne dont-ils garderaient une inoubliable trace , l’artisanat , la pêche , les courses en pirogues , le culte du tabou , les fantaisies et les frasques amoureuses que suscitaient les usages de la fleur de Tiaré , soit une oreille gauche , soit une oreille droite , codes précieux à l’adresse des quêteurs d’amour !!

Rien, mais vraiment rien ne serait oublié.

Noël Vallier

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