samedi 26 novembre 2011

L'Archipel radieux ( suite ) .

L'Archipel radieux ( suite ) .


Il disposait d‘un peu plus de quarante huit heures pour se réjouir une fois de plus des plaisirs inouïs de ses prochaines contemplations .
Cette petite sœur de la grande Tahiti n’était pas moins tapageuse de somptueuses luxuriances , sur l'échelle  des émotions elle lui damait même le pion et  avec un certain culot, il en fallait ...
Les mêmes trésors , merveilles , reliefs , couleurs , perspectives, mais en plus intimes, alors petite soeur peut-être cependant sa taille réduite lui donnait un caractère , une personnalité, une densité que Tahiti pouvait jalouser elle dont on avait de cesse de toujours convier à la première place du palmarès .
Les habitants paraissaient plus tranquilles, plus chaleureux peut-être, la présence militaire n’agaçait plus  l’autochtone elle était engloutie digérée, les fantassins du dimanche renaissaient métamorphosés et avides de grâce.
André et ses amis étaient attendus sur un motu, un éclat de perle planté à quelques centaines de mètres de l’île de Bora, là ils trouveraient le faré mis à leur disposition , puis ils planteraient de longues minutes sur le petit embarcadère, avant que de ranger quelques menus bagages .
Comment était-ce possible que l’existence de telles splendeurs se demandait souvent André? Il aimait y répondre lui-même et se disait-il les peintres et les architectes de la Genèse épuisés par la grande œuvre de la fresque du Monde avaient mis à profit un peu de leur répit pour s’abandonner à rebours de palettes et de pinceaux à commettre quelques premières touches impressionnistes …

Une fois rangés les petits accessoires et bagages, les mirettes provisoirement contentées, il s'en retournèrent au centre de Bora ils prirent un rafraîchissement entre canisses et cocotiers, lait de coco et gin, ils flânèrent une petite heure au village avant d’enfourcher les vélos de location mis à disposition.
Ils pédalèrent au cœur de l’île …


André ne retiendrait du bonheur de ses contemplations que le seul souvenir d’une jouissance, unique comme un concert de sens.
De Tureïa amour contrariée de l’Archipel des Tuamotu , à Tahiti beauté unique et bavarde de la terre Polynésienne , puis Bora Bora tellement ressemblante et promise à des langes éternelles il n’avait connu que vertiges et grands bonheurs.
Ces terres lointaines, ces îles luxuriantes, ces atolls surgis lentement érodés depuis l’enfance du Pacifique remueraient à jamais les cervelles et les tripes de leurs habitants et ne cesseraient de séduire et convertir les  quêteurs de passage ….
Le retour vers Papeete fut accompagné par d’incessants crachins , le temps était instable mais ils avançaient sans trop de difficultés, les délais seraient tenus et ils retrouveraient bientôt le port grouillant de la capitale.
André se doutait bien que des beautés Polynésiennes il venait après Bora d’en connaître l'une de leurs meilleures parts.
Quel militaire chanceux je suis se disait-il que pourrais-je bien encore attendre ou espérer …
Et pourtant les évènements ordinaires de son séjour lui feraient encore la route belle.
Ces ordinaires, ce quotidien avaient une saveur unique il en convenait, des contraintes certes ou petites servitudes, des devoirs bien sûr mais était-il concevable d'imaginer que l'armée puisse un jour cesser d'en imposer??
Combien étaient-ils ceux de son contingent, les nombreux appelés de la 68 2 c à se morfondre dans quelques casernes, à répéter inlassablement le maniement d’armes, à subir peut-être de sévères trempes.

Enfants qu'apprenaient-ils André et ses amis sur les livres d’histoire sinon  batailles et guerres, ils étaient pourtant friands de patriotisme, le mot ne leur était pas familier mais les victoires leur paraissaient justes et belles, la faconde du maître transcendait, sublimait même l’ordre cynique des affrontements, les petits soldats de plomb ni ne pleurent ni ne saignent, comment auraient-il pu ces adorables gosses s’interdire et sans le moindre drame possible de rêver ?!
L’histoire de France disait-on, histoire de conquêtes, belles fresques écrites et dessinées sur le thème des grands hommes, le maître lui-même ne s’interdisait nullement de se gausser de quelques personnages plus falots, il disait l’histoire subjective celle des manuels celle de l’ordre républicain celle de la raison !!!
Combien de fois André et ses camarades sortirent de classe en guerroyant sous pluie et soleil indifféremment, quelquefois traînant leurs godillots dans les flaques et rentrant chaussettes et blouses trempées !!
C’était ainsi , six ans , sept ans , huit ans , les années bonheurs celles de l’insouciance  celles des tartines d'une confiture épaisse, dégoulinante, celles des jeux éternels , celles aussi de la tendresse , cette tendresse qui inondait les yeux indulgents des gens aimants,ce sentiment fort qui faisait courir le long de son corps de doux frissons .


André était salarié à l’époque de son incorporation, il rompait depuis longtemps déjà à bien des ordres soumissions et contraintes, et n’envisageait jamais sa contribution au service national sous un angle bien différent, il concevait fort bien que pareil système puisse s’organiser autour et entre les hommes, et à fortiori en temps de paix où il n'y voyait même que des vertus !!
N’avait-il pas lui-même mûri sous la férule bienveillante et affectueuse de ses grand-mères, servi la messe avec conscience et gravité auprès du curé de son village pendant ses jeunes années, admis et même aimé sans restriction l’autorité et l’enseignement fleuri de ses instituteurs.
Il avait le sentiment d’être un très bon élément souvent farceur certes mais droit fraternel et discipliné ….
Moins farceur serait-il devenu curé ?? Pas impossible en effet son goût précoce pour les prêches , sa subordination à l’institution et à l’influence religieuse , son désir du paraître , l’exactitude et la bonté de ses jugements , son éloquence peut-être, beaucoup de conditions paraissaient remplies !!
Mais à dix ou douze ans frappent à la porte de la vie d’autres chimères et deviennent soudainement intrusifs bien des tourments …

Noël Vallier

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